Dans un champs aux abords du petit village de Ternire

Décidément, c'était pas son jour. Elle s'était levée environ une heure au chant du coq, comme toujours. Un des petits avait mouillé ses draps. Il en avait des larmes de honte. Pourtant elle n'avait jamais fait de remarque. Elle les mettait à sécher dehors en silence. Mais lui, il en était toujours aussi affligé. Elle lui avait pourtant expliqué que chacun allait à son rythme et qu'il fallait toujours garder la tête haute et assumer. Tant que tu assume tes actes, rien ne pourra t'être reproché. C'est la honte et la culpabilité qui avilit les peuples. Enfin, si elle ne le prenait pas dans ses bras pour le consoler, c'est qu'elle estimait que c'était un motif trop futile, qu'il n'avait rien a se reprocher, et qu'elle n'avait pas le temps ni l'énergie pour se genre d'effusion.
Et la toute petite qui était malade. Et les deux grands qui se chamaillaient encore. Enfin, elle pensait les avoir calmés pour un moment...
Mais ça aurait pu être une journée normale si, la nuit, il n'avait plu et si la terre n'était si boueuse. Elle avait glissé quelques fois sur le sentier. Et comme si ça ne suffisait pas, elle avait ses lunes.
Elle labourait la terre avec rage. Si seulement quelqu'un aurait une seule remarque ce jour-là, il tâterait de sa faux!

Sen avançait toujours, fatigué et presque à bout de force il ne voulait pourtant pas abandonner.
Il avait honte, terriblement honte et parfois des larme de rage venait lui mouiller les yeux. La tache était simple, normal pour une première mission seul, mais il s'était perdu et avait prit du retard.
Il avait eut la confiance de son maître mais s'était réveller incapable de mener à bien une simple mission de messager.
Comment, comment avait-il pu être aussi faible... aussi stupide ?

Il sécha ses larmes en apércevant un village et pressa le pas. Il pourrait au moins se renseigner sur sa position et pour alors se réorienter. Remontant un peu la capuche de sa houppelande il s'approcha timidement d'une femme occupée à labourer la terre avec énergie. Humblement il demanda :
"S'cusez moi m'dame. Un b'jour a vous."

Leniel se redressa, surprise que l'on s'adresse à elle en des termes si respectueux. Elle avait cru pendant un instant que c'était les moqueries d'un garnement du village. Mais il n'en était rien. Le jeune ou l'enfant qui lui faisait face avait l'air défait d'un voyageur. Bien que curieuse, elle garda néanmoins le visage fermé, on risque trop à paraître avenant et elle avait déjà tant de choses à penser... Elle s'essuya le front de sa main gauche, laissant une fine traînée de boue sur son visage. Elle préférait ne pas penser à l'allure qu'elle avait... Mais enfin, elle était au travail, pas à un quelconque bal!
Quelles qu'en soient ses pensées et malgré la sueur et la terre, elle ne présentait pas si mal qu'elle pensait. Sa robe, bien qu'usée et visiblement raccommodée était faite dans un tissus franc et d'un rouge colérique qui soulignaient harmonieusement son teint. Et, si elle était petite, elle n'était pas frêle, et si les hommes trouvaient parfois déroutant de voir les muscles jouer sous sa peau maigre, elle avait parfois aperçu quelques regards appréciateurs qui l'avaient déstabilisée. Non, elle n'était pas belle pour autant, elle avait du chien. Ses yeux, ses regards dures pouvaient en devenir hypnotisant. Et les rares regards tendres qu'on lui avait jamais vue faisaient oublier jusqu'à ses cicatrices.
Alors replaçant machinalement une longue mêche brune derrière son oreille, elle dit d'une voix un peu rêche qui ne cachait pas un accent prononcé:
"B'jour à toi 'ssi, voyageur! Qu'viens-tu faire par chez-nous? Tu m'as l'air bien las, ma foi."

Sen fut tout de suite plus à l'aise lorsque le fort accent de la femme résonna à ses oreilles. L'accent du nord, des gens avec qui il avait grandit. C'était le fort accent des gens du village où il était né et où il se rendait parfois. Le même accent qui transparaissait parfois dans la voie de son maître. Cet accent avec lequel sa mère lui chantait des berceuses.
Il sourit pour lui-même, au moins il ne s'était pas perdu au point de ne plus comprendre le patois local.
Cette femme était plutôt impressionnante, mais Sen avait depuis longtemps appris à ne pas juger sur les apparences. Costaude et déterminée la vie difficile des paysans avait apposer sa marque sur ses traits et, Sen s'en doutait, son caractère.
Timidement Sen demanda :
" --J'cherche Lusen m'dame, sauriez-vous où que je l'y trouve ?"
Il n'avait pas fait d'efforts particulier pour cacher son propre accent, ni pour parler correctement. S'il voulait des informations il serait à son avantage de montrer qu'il était de la région. Il réalisa trop tard qu'il l'avait vouvoyée, or ce n'était pas une pratique des plus répandue à la campagne, il espéra cependant qu'elle associerait ceci à son jeune âge et au fait qu'il était manifestement perdu. Après tout il devait paraître assez inoffensif... Et pour la première fois de sa vie il fut heureux de "faire moins que son âge". Il décida alors de tenter un peu cette chance.
"--Et... heu.. si je peux vous demander à boire m'dame. C'est que... j'ai plus tant d'accouet voyez."
Il baissa le regard, se demandant s'il n'en avait pas trop demander. Après tout, il n'était qu'un étranger ici, un inconnu.

Elle dévisagea encore un instant ce gosse. Elle était à la fois flattée et dérangée par ses manières. Il avait l'accent du coin, mais ni l'allure, ni les manières. Et ses yeux baissés face à elle... Autant elle savait que c'était une question d'éducation, autant ça l'agaçait. Il avait soif? Aucune honte à demander à boire! Personne ne peut refuser un godet d'eau à un voyageur. Ce n'était pas seulement de l'altruisme, c'était du bon sens. Si tu te refuses à ce devoir, ça se saura et, si un jour tu te retrouves sans eau, on te le fera payer. ça pouvait sembler cruel, mais ce n'était que juste. Loin des villes, les lois étaient simples, dures, mais inaliénables et personne n'y réchappait. Elles étaient dictées par une seule chose, la nécessité.
Alors, comme elle-même commençait à ressentir dans tout son corps l'effort. Cela faisait quand même quelques heures qu'elle travaillait sans relâche. Elle saisit l'occasion d'une pause et d'une distraction. Elles étaient rares ou répétitives dans les alentours. Et qui sait d'où venait ce petit?
"Viens don' par là, gamin, j' t'y trouv'rai bien une p'tite golette ou deux, histoire de t'désoiffer un coup, et pour ce qui est de ta route, ma foi, tu peux bien attend' deux minutes que j'y pense d'ssus."
Elle lui fit geste de la suivre et retourna en direction du village, vers sa petite masure blanchie de chaux.

Sen fut surpris par tant de gentillesse. Il sourit béatement un moment avant de se rappeler ses manières et de retrouver une expression neutre.
"Oui, m'dame. Si j'y peux un jour, je vous revaudrai ça m'dame."
Il suivit docilement la paysanne jusqu'à sa masure se demandant vaguement ce que cela faisait de vivre dans une famille simple et franche à l'image de cette femme. Cela aurait peut-être la vie qu'il aurait vécu si sa mère n'avait été emportée par la maladie. Il se souvenait avoir vécu dans une ferme pendant quelques années.
Cela aurait été une vie plus simple, plus paisible, mais en cas de danger qui veillait sur ces gens-là ? Que ferait-il contre la maladie des Démons ?
Une fois de plus Sen se jura de devenir le plus fort possible. Il avait tant de monde à protéger...

Elle resta silencieuse si le chemin. Elle avait été étonnée par tant de gratitude sur ce visage. Le monde devait avoir été bien ingrat pour lui aussi si ses mots rudes le mettait dans une telle joie. Elle en était révoltée!
Elle entra dans la cuisine. C'était une pièce étroite, mais bien tenue. Il fallait bien, ils dormaient tous dans la seconde pièce. Dans la promiscuité la propreté et l'hygiène était indispensable. Pris une vieille casserole et y versa de l'eau et la mis à bouillir sur le feu.
"On n'sait jamais c'qui peut grouiller comme vermine dans les eaux, t'vois. Et l'eau mauvaise n'pardonne pas." Elle le fixait d'un air grave. Il faisait sombre et frais à l'intérieur, protégés par l'épaisseur des murs. Elle lui proposa un siège d'un geste. Puis elle resta à le regarder, laissant son esprit spéculer sur ce qui pouvait pousser un enfant sur les routes. Elle-même n'aurait pas pu ne serait-ce qu'en effleurer l'idée. Elle avait des responsabilités. Des devoirs. Ses envies ne comptaient pas. Mais quelque chose lui disait que son hôte non plus n'était pas des plus libre. Rien que dans le fait qu'il se soit repris lorsqu'il s'est senti sourire. Elle, c'était différent. Elle avait perdu l'envie même de sourire. C'était un endurcissement profond, cruel, mais naturel qui s'était opéré en elle. L'instinct de survie. Alors que lui, c'était une contrainte d'un autre ordre qu'il s'imposait, il se forçait devant une inconnue à garder une expression insondable. Ce n'était ni une envie, ni une nécessité. ça la rendait un brin méfiante. Pas vraiment envers le garçon, mais envers ce qu'il pouvait avoir vécu. De toute façon, ce n'était qu'un enfant exténué. Elle pouvait faire quelque chose pour ça. Elle comprenait ça.

Sen s'assit bien droit sur le petit tabouret qu'on lui avait désigner. Heureux de pouvoir reposer ses jambes il avait l'impression d'être assis sur un véritable trône. Il regarda son hôte mette de l'eau à bouillir. Ainsi l'eau d'ici n'était pas sûre,cela était bien dommage de ne pas avoir à proximité une source ou un puits d'eau clair et sans danger.
"ça c'est sûr m'dame faut s'méfier. L'vieux Ganero l'y a laissé sa peau. D'où qu'elle vient cette eau ?... enfin si j'puis vous demander m'dame."
Il se sentait bien dans cette pièce pourtant exiguë, à l'abri de la chaleur et des regards. De vieux souvenirs montait en lui et il se laissa submerger pour un temps en se remémorant les sons, les odeur et les goût de son enfance. Sa mère forte et souriante qui mettait de l'eau à bouillir pour le bouillon du soir. La vie difficile ne l'avait jamais abattue,ni découragée... La maladie par contre. Secouant la tête, Sen chassa ses pensées tristes pour se concentrer sur le présent. L'eau bouillait à présent.

"C'est bon, gamin. J'ai jamais manger personne, t'sais? Elle vient du puits du village. Elle d'vrait être propre, mais moi, ben j'me méfie just'ment. C'est qu'y a pas qu'moi que j'dois garder saine." Elle pensa à feu son père et à sa ribambelle de frères. Elle soupira. Enfin...
Elle empoigna la casserole et versa de l'eau dans deux godets de bois qu'elle posa sur la table. Puis elle leva les yeux vers le visage du garçon et le trouva bien mince. Elle n'arrivait pas à croire, si jeune et sur les routes, y a des gens qu'ont pas d'conscience. ça peut pas grandir comme y faut après! D'jà qu'c'est assez dur quand ils ont un toit sur la tête. Elle alla chercher la miche de pain de la semaine, elle était un peu rassie déjà, mais nourrissante. Elle en déchira un bout et le lui tendit.
"Prends voir. T'as p'tite mine qu'on dirait. C'est qu'd'où tu viens comme ça?"

Sen mangea avec délice le pain qu'il n'aurait jamais oser demander. Cette dame était la gentillesse incarnée. Il avala soigneusement avant de répondre.
"Je m'en viens de Serna m'dame. Plus au Nord. Et je dois aller à Lusen, mais je me suis perdu."
Il regarda ses pieds honteux.
"Chuis en r'tard m'dame... alors j'ai marcher de nuit aussi. J'ai bien besoins de savoir où c'est et si c'est loin."
Il reporta son regard sur la paysanne les yeux emplit d'espoir.

Ses yeux. Si innocents encore. Si pleins d'espoirs.
Il lui faisait penser à sa propre famille et réveillait en elle cet instinct maternel qui contredisait toute son apparence dure et froide. Car elle l'était, oui, elle était froide, susceptible, vindicative. Elle savait que certains la croyaient folle. Mais c'était un mal nécessaire. Elle était trop jeune et trop femme pour se faire respecter autrement. pour protéger ses enfants. Etre mère de six enfants sans jamais avoir connu d'homme... Mais elle ne se permettait pas de regret. Mal nécessaire... Surtout celui si avilissant de la chaire.
Son regard se fit plus dure, elle se fustigeait. Elle ne devait pas laisser ses pensées s'égarer ainsi. C'était un acte coupable et on avait besoin d'elle. Ce gosse aussi avait besoin d'elle...
"Ecoute, petit, c'est pas bien grand, mais tu vas dormir a'c nous c'te nuit! Tu peux pas t'permettre de traiter ton corps comme tu l'fais. Tu vas grandir tout de traviole à c'train-là! Les gosses se réduisent dans que'ques heures. O s'arrang'ra pour t'trouver un coin. Et puis, pour ta ville, ma foi,j'crois bien qu'c'est loin, plutôt vers l'ouest, mais j'irais d'mander d'main à la taverne. C'est pas comme si j'tais alléye bien loin, moi."
Elle avait dit ça sur son ton le plus autoritaire. Mais méchant non, pas fâché, pas celui qu'elle utilisait pour impressionner un ennemi, mais celui des mauvais jours, quand les gamins n'écoutaient pas et allaient encore faire quelque chose d'inconscient et de dangereux pour leur santé. Celui qui faisait comprendre qu'il n'y avait pas d'alternative, mais qui ne semblait pas vraiment ordonner.
Bien sûr, ce gosse, elle ne le connaissait pas. Elle ne devrait pas avoir le droit de lui parler ainsi. Mais il était sous son toit alors ce droit elle le prenait. Il ne semblait pas avoir été choyé depuis longtemps et même si ses manières à elle pouvaient sembler rudes...

Sen eut du mal a cacher sa surprise, mais elle fut vite remplacée par une expression de profonde méfiance.
Qui était cette femme qui lui offrait à boire, à manger sans rien demander en retour. Et surtout que voulait-elle ?
Voila qu'elle lui offrait le gîte. Ce regard froid, peut-être n'était-il que la partie visible de l'iceberg. Dame Lomi seule pourrait savoir ce que cachaient les pensées de cette femme.
Soudain, il comprit, elle l'avait happaté avec sa gentillesse et il s'était laissé prendre. Elle voulait le mettre plus en retard encore ! Comment allait-il se sortir de ce guépier sans pour autant montrer qu'il avait découvert le piège ?
Il commença par se lever tranquillement.
"Je ne veux pas vous déranger m'dame. J'ai bu. J'ai mangé me voila bien ragaillardi. Il est temps pour moi de reprendre ma route. je vous remercie."
Il inclina légèrement la tête en guise de remercimant, à la manière des masqués.

Elle avait bien senti la surprise comme la méfiance de l'enfant et tout en la trouvant profondément déplacé, elle la comprenait un peu. Juste assez pour ne pas se fâcher, car un enfant seul sur les routes, réduit à marcher dans dormir pendant plusieurs jours devait être un être méfiant. Sinon, il ne serait permis de s'arrêter déjà avant d'arriver chez elle. Et qui sait quelle mésaventure l'avait poussé à un tel voyage. Non, elle n'allait pas se fâcher. Elle poussa un profond soupir d'agacement et de tristesse. Quelle vie de chien! Quand elle pensait qu'il y avait des gens qui vivaient dans des palais avec des pauvres gens prêts à assouvir tus leurs caprices...
Elle ne savait pas trop comment le remettre en confiance. Il devait lui faire confiance! Il avait l'air complétement exténué. Et c'était son devoir de femme de ne pas lui donner tout ce qu'elle pouvait.
"Écoutes petit..." Elle s'était assise pour être à sa hauteur. "Regarde-moi..." Elle chercha son regard, car elle savait que tout pouvait se dire en un regard. Autant on pouvait avoir une maîtrise parfaite de ses gestes et expressions faciales, autant le regard semblait toujours présenter une sorte de faille. Et elle voulait qu'il voie qu'elle ne lui voulait pas de mal.
"Si tu pars maint'nant, c'est ton choix. J'n'aurais pas l'droit d't'retenir et j'n'le f'rais pas. J'ai pas d'raison d't'embêter, tu vois? Je sais ni ton âge, ni ton nom, ni pourquoi t'as c'drôle de vouloir que d'aller si loin tout seul. Mais si tu pars sans dormir, t'en as encore pour une bonne tirée et tu vas t'écrouler n'importe où. Et ce s'ra plus dang'reux que d'me faire confiance à moi." Elle se leva, carra les épaules. Elle lui expliquais la vie à ce gosse, mais qu'il ne croie pas lui rendre un service à elle. Qu'il ne se croie pas supérieur. Il avait le droit de refuser l'aide. C'était le plus strict de son droit. Le fondement même de sa dignité. Elle-même ne pouvait pas accepter parfois...
"Bon, c'est qu'ma journée n'est point terminée. J'ai pas fini les labours. Tu peux passer dans l'autre pièce et te poser où tu peux ou partir. Je s'rais rentrée avant les gosses, t'auras pas b'soin d'expliquer..."
Et sur ces mots dit d'un ton plus rogue, elle sortit.

Sen baissa la tête d'un air contrit.
"D'accord m'dame, finit-il par dire."
Mais elle était déjà partie. Tous ce qu'elle avait dit était vrais en fin de compte. Il avait atteint ses limites et il se devait de prendre du repos.
Elle ne le connaissait même pas comment pouvait-elle vouloir le mettre en retard ?
Il décida d'arrêter là ses reflexions et de dormir un moment, mais il se promis de repartir le soir venu. Pas question de trainer plus que nécessaire !

Après avoir bossé encore jusqu'à ce que la luminosité devienne trop aléatoire pour que ça rime encore à quelque chose, elle rentra chez elle. Contrairement à ce qu'elle avait dit au gamins, ses frères étaient rentrés avant elle, car elle avait été si concentrée, perdue dans ses pensées, qu'elle n'avait pas remarqué les heures qui passaient. ça aurait pu paraître surprenant vu la tâche éreintante qu'elle faisait, mais elle avait une telle habitude des efforts et douleurs physiques qu'elle n'y prenait garde que lorsqu'elle se réveillait le matin. Elle passa d'abord à la cuisine pour enlever ses souliers crottés et se débarbouiller un minimum. Elle avait particulièrement les clapotis de l'eau dans la bassine lorsqu'elle s'éclaboussait l'encolure et le visage. Le bruit de l'eau était quelque chose qu'elle trouvait aussi apaisant que vivifiant. Elle aimait l'idée que l'eau la plus calme puisse devenir, si on l'abordait de manière trop négligente ou désinvolte, le plus pernicieux des dangers.
Elle rentra ensuite, pieds nus dans la chambre unique pour voir y tous les gosses déjà couchés. Ils avaient l'habitude qu'elle rentre parfois plus tard. Et s'ils en étaient déçus, ils savaient que ce qu'elle faisait était nécessaire pour elle, mais surtout pour eux, alors ils se taisaient.
Puis en sondant l'obscurité d'un regard alerte, elle vit que ses paroles avaient fait mouche et que le garçon était finalement resté dormir. Il se tenait, discret, dans un coin, peut-être mal à l'aise en telle compagnie?

Sen se réveilla avant l'aube. Tout le monde dormait encore ; silencieusement il quitta la pièce. Il était en forme à présent, mais cela ne l'avançait guère sur la direction à suivre. Il n'avait pas le choix, il devait attendre le réveille de son hôte, afin que cette dernière lui indique, à défaut de Lusen, la direction vers le village le plus proche où il pourrait de renseigner.
Il s0assit par terre, en tailleur, et attendit.

"Alors, p'tit, déjà levé? T'sais qu'c'était po utile de t'lever avant moué si c'tait pour m'attendre. T'as l'air encore tout patraque. M'enfin, j'imagine qu't'es pressé..."
Soudain, elle fut prise d'un doute. "C'est pas un danger d'vie qui l'angoisse comme ça, dis voir? Sinon que j'te trouve un guérisseur prêt à t'suivre en moins d'deux!"
Méfiant comme il était, ce garnement, il était bien capable de cacher quelque chose du genre! Y a pas idée que de laisser un gamin s'élevé tout seul. Elle-même l'avait fait et elle n'était pas si sûre d'être une réussite...

Sen secoua la tête.
"Non, non m'dame, merci bien m'dame. Si vous pouviez montrer le chemin de Lusen ou du village m'dame."
La bonne nuit de repos n'avait pas été une mauvaise idée. Il avait l'esprit plus clair à présent. Vraiment cette dame avait été gentille avec lui. Il faudrait qu'il lui revale ça un jour, mais Sen ne savait pas comment.

"Bon, dans c'cas-là, j't'emmène au village. Y aura ben quelqu'un, à la Taverne..." Et elle dit tout bas, un peu contrariée. "Même si c'est pas un endroit pour un gosse..."
Mais elle était résignée à l'emmener quand même, c'est pas son sa bonne garde qu'il lui arrivera quelque chose. Et puis, à vrai dire, c'est pas une ou deux souillasses qui pourraient être dangereuses. Et cette pensée lui laissait un goût doux-amère dans la bouche.
Elle marchait à grands pas. Déjà, elle arrivait à la hauteur de la "première" maison.

Sen opina et suivit docilement sa bienfaitrice. Il allait entrer dans une taverne... c'était bien la première fois. Il se força a rester concentrer sur sa mission malgré l'angoisse qu'il sentait monté en lui.
Puis la curiosité prit le pas sur ses peurs.Une taverne : un lieu d'adulte.