La table au fond à gauche : Celle de l'habitué Gorimm

Gorimm entra dans la taverne, comme chaque soir à 21h00 tapante, de son pas le plus léger, discret. Il marcha droit sur la table du fond, à gauche. Même les jours de grande affluence, cette table était libre. A croire qu'elle lui était tacitement réservée. Peut-être l'aurait-il pensé, comprit, s'il avait était moins sûr de son insignifiance. Il s'assit sur le banc grinçant, puis, leva enfin les yeux du sol. Il paraissait moins grand, plus normal, assis derrière sa table. Il attendait. Ses yeux errants suivant les va-et-vient de la serveuse, dans la vague idée qu'elle le remarque et qu'elle vienne prendre sa commande. ça finissait toujours par arriver. Après une minute ou un quart d'heure...
Sacré timidité. Vivement son litron de bière...

Maeni soupira, secoua la tête et se décida enfin à aller prendre elle même la commande de Gorimm. Pas étonnant qu'aucune de ses serveuses n'y fasse attention, c'est à croire qu'il essayait de se fondre dans la chaise.
Elle s'approcha d'un pas nonchalant un léger sourire aux lèvres.
Elle s'appuya des deux mains sur la table.
"Alors, qu'est-ce que cela sera pour toi, mon gros ?"

Gorimm leva ses grands yeux bruns, brodés de longs cils , bovins, sur la détentrice de la voix.
"un litron de bière!" dit-il avec sa voix la plus sûre, grave, mais malgré tout, légèrement chevrotante.

Maeni sourit du coin des lèvres une lueur d'amusement dansant dans ses yeux.
Il ne changeait pas ses habitudes, la même table, la même commande, mais Maeni n'allait pas le laisser s'en sortir comme ça. À chaque fois elle le forçait à parler et le faisait attendre un peu plus long temps, peut-être qu'à la longue finirai-t-il par héler une de ses serveuses.
C'était un peu cruelle, elle en convenait, mais le gaillard était si drôle, dans sa peau d'ours mal léché et ses manières de gamin timides.
"Bien mon gros ours, je te l'apporte moi-même !"

"Merci"
Gorimm connaissait ses défauts. Il voyait bien que la patronne trouvait cela drôle. Il n'arrivait même pas à s'en offusquer. Au fond, ce n'était pas méchant. Ils avaient leurs raisons de rire, même si c'était parfois blessant. Un grand gaillard comme lui... Il ne pouvait pas leur en vouloir...

Maeni revint avec une mass remplie à raz bord et le sourire aux lèvres.
"Voila de quoi étancher ta soif ! Je serai en cuisine si tu as besoins de quoique ce soit."
Elle se détourna et se dirigea vers les cuisines.

Gorimm la regarda partir. Elle était toujours polie, mais un peu sèche. Il aurait été autre, plus tapageur, il aurait essayé de la dérider un peu...
Il but une grande golée de sa choppe. Ce goût âpre et prononcé rafraichissait ses papilles! Encore deux, trois choppes et il se mettrait à chanter...