Dans le Hall d'entrée de la maison de passe

Sendanor entra à pas timide à la Siamoise, ce n'était pas la première fois qu'il y venait mais il ressentait toujours ce pincement de culpabilité. Heureusement, cela ne durait jamais trop longtemps, une fois dans les bras de la tendre Abalone.
Il demanda à la voir, mais la réponse le mit plus mal à l'aise encore :
"Abalone ? Oh désolée mon chou, elle est occupée pour le moment, elle travaille." lui avait répondu une des filles.
Il s'assit alors sur un des fauteuils mit à disposition des clients. Il hésita entre attendre ou partir aussitôt, mais il n'avait pas le courage de retraverser la salle pleine en sens inverse.

Leikina sortit d'une des chambres de travail. Elle ferma la porte doucement. Puis, elle se pencha pour ramasser une étoffe humide dans une bassine qui était posée à l'entrée. Elle se la passa cérémonieusement sur le visage, sur son décolleté et ses bras. Puis, se sentant propre, elle longea le couloir qui menait au hall d'entrée.
Elle croisa une fille : "T'as fini? Le p'tit prêtre t'attend dans le hall."
Arrivée au bout du couloir, elle le vit, assis bien droit dans un des fauteuils. Elle se recoiffa instinctivement d'une main. Sourit. Elle dut faire un effort pour garder un air professionnel.

Sendanor dû se retenir de crier son nom lorsqu'il la vit. Enfin ce n'était même pas son vrai nom bien entendu, aucune des filles ne donnaient leur vrais nom. Cette pensée l’attrista un peu.
Il se leva et alla timidement à sa rencontre.
"Abalone " chuchota-t-il lorsqu'il fut enfin vers elle.
Elle était belle et gracieuse comme d'habitude, mais il y avait en elle une sorte d'innocence éternelle qui le fascinait.
"Tu es magnifique." Il ne savait pas quoi dire d'autre. Il aurait aimé la serrer dans ses bras jusqu'à l'étouffer... La garder pour lui tout seule. Ces yeux rieurs, cette peau de porcelaine si délicate et si douce. Il passa une main dans la crinière de ses cheveux roux. Il aurait voulu les mordre, mais il n'osa pas. Pas maintenant, pas ici.
Madame Mili était stricte là dessus. Tout était permis tant que les filles étaient d'accord, mais rien à l'extérieur des chambres dédiées.

Leikina sourit au compliment.
"Merci."
Elle aimait la façon qu'il avait de la regarder. C'était plus doux, plus fragile, moins bestial que le regard des autres hommes. Certaines fois, elle se prenait à espérer qu'elle n'était pas qu'un corps, qu'un refuge pour lui... Mais c'était un client, un prêtre même. Et les rêves ne sont jamais que d'agréables écrans de fumée...
Elle le pris par la main, doucement. Sans serrer sa main, son contact n'était qu'un effleurement,
Elle l'entraina dans les couloirs, silencieuse. Il y avait rarement à dire dans ce métier. A part les compliments d'usage sur le physique des hommes. Elle les disait toujours de bonne grâce. Et elle s'arrangeait pour que ce ne soit jamais un mensonge. Si on ne peut louer la beauté, on peut toujours parler de la force ou de la virilité. A ses yeux personne n'était dénué de qualité.
Elle referma la porte derrière Sendanor. Clac. Elle se tourna pour lui faire face. Qu'il était beau. C'était le seul homme qui la fascinait . Le seul qu'elle n'avait jamais réussi à complimenté. Elle aurait eu l'impression de se mettre à nu. Oh! Elle se trouvait si risible! Elle qui se déshabillait pour vivre avait peur de se mettre à nu! Elle était sûre qu'elle ne pourrait rien dire sans trembler, sans rougir. Elle avait honte. On devait faire son travail avec détachement, c'était la seule manière de s'en sortir...

Sendanor prisait ces moments d'intimités, loin des responsabilités et de ses devoirs. Pendant quelques instant il pouvait s'oublier dans les bras d'une femme et profiter de la chaleur humaine... Et Abalone était si douce, si attentive, prévenant ses moindre besoins.
Mais déjà il était temps de la quitter. Il n'avait pas vu le temps passer, comme à chaque fois. Il ne savait que dire ; il ressentait tellement... mais, ce n'était que son travail après tout.
"Merci finit-il par dire faiblement, merci pour tout."

"Tu n'as pas à dire merci." susurra-t-elle en réponse. Si doucement qu'elle n'était pas sûre d'être entendue. "C'est rien." Rien. Oui. Rien. Rien de plus que d^habitude. Les mêmes gestes, les mêmes caresses. L'émoi en plus. L'émoi réel. Le sang qui grouillait dans ses veines comme d'innombrables petites fourmis rouges.
Il avait dit merci. Elle était mortifiée. Elle ferma les yeux un instant, tête basse. Voyons. Ressaisis-toi. Un client. C'est juste un client. Un client satisfait! Un client satisfait ET poli dit merci...
Elle dut se faire violence pour rouvrir les yeux et le regarder en face. Enfin, pas vraiment en face, mais son épaule gauche, juste à hauteur d'yeux, ainsi il ne pouvait pas voir la peine dans son regard.

Sendanor allait se retourner, il hésita. Quelque chose dans son ton peut-être, ou dans ses yeux. Non, il se faisait des idées !
Il se retourna réfrénant l'envie de la prendre dans les bras et de l'emmener avec lui. IL aurait tellement voulu partager autres choses avec elle. Il aurait aimé lui montrer le Temple où il passait la plus part de son temps, lui faire partager un peu de sa vie quotidienne, mais cela était impossible... On n'emmenait pas les prostituées visiter les temples d'Ordel.
Alors il s'en alla simplement en se jurant de ne plus revenir, mais il savait au même moment qu'il ne tiendrait pas cette promesse.